1. Introduction
La Logothérapie (en grec logos, = parole, raison) est une approche psychothérapeutique
mise au point par le psychiatre viennois Viktor FRANKL 1905-1997), et elle ne peut être
comprise qu'à la lumière du vécu de son fondateur. Elle considère la responsabilité
humaine comme essence même de l'existence , et elle essaie de faire valoir à l'être, au
patient, quelles sont ses responsabilités : à lui de choisir ce dont il se sent
responsable, envers qui et envers quoi il se sait responsable. L'intervenant (thérapeute,
conseiller, accompagnateur
), est moins porté que le thérapeute traditionnel à
proposer, voire même à imposer ses valeurs à son patient, car il ne veut aucunement
prendre la responsabilité à sa place.
La personne concernée essaie de trouver un sens à sa vie, même à sa souffrance, et
elle peut le faire de trois façons différentes :
a) à travers l'accomplissement d'une bonne oeuvre ou d'une
bonne action, qui favorise le déploiement de ses possibilités, de ses potentialités, et
la fait sortir de la passivité, de son statut de victime impuissante ou résignée ;
b) en faisant l'expérience de quelqu'un ou de quelque chose
: en vivant par exemple ce qu'est la bonté, la vérité, la beauté ; en entrant en
contact avec la nature ou avec une certaine culture ; ou en découvrant (ce qui est encore
mieux), ce qu'est l'amour véritable et unique (ce que la Bible appelle l'amour-agapê :
agaph, chanté par l'apôtre Paul dans 1 Corinthiens 13) ;
c) en prenant une attitude adéquate face à la souffrance,
surtout face à la souffrance inévitable : placé dans une situation désespérée, il
reste encore à l'être humain la liberté de choisir l'attitude à prendre : vivre
jusqu'au bout ; mourir dans la dignité, assumer ses souffrances.
On peut prendre l'exemple du calendrier : le pessimiste ressemble à l'homme qui voit avec
tristesse son calendrier amincir de jour en jour. L'optimiste ne veut en retenir que les
jours de fête ; par contre, le réaliste, qui a mûri dans sa vie, accueille l'aventure
de l'existence, et il collectionne amoureusement les feuilles de son calendrier, qu'il a
annotées. Il se penche avec joie, fierté ou reconnaissance sur la richesse de ses
feuilles conservées.
Pourquoi regretter sa jeunesse ? Que lui importe de vieillir ? Son histoire est riche,
avec un fil conducteur, incluant les joies, les peines, le travail, les loisirs, les
souffrances rencontrées
Avec le temps, le recul nécessaire, il trouve une logique interne (mémoire sémantique)
dans sa trajectoire de vie, acceptant (sans se résigner), ce que dit la Bible dans
Romains 8, 28 : "
Toutes choses concourent (sunergei, = synergie) au bien de
ceux qui aiment (agapvsin) Dieu
". Cela implique bien sûr la nécessité d'une
relecture du passé (dont on tire des leçons), du présent (perçu plus comme un jardin
à cultiver que comme une jungle à affronter), et du futur qui peut ouvrir la porte sur
d'autres découvertes à partager, comme autant de cadeaux reçus et offerts.
2. Biographie

|
Viktor FRANKL est né à Vienne le 26 mars 1905. Son père,
Gabriel FRANKL, originaire de Moravie, travaillait comme sténographe au gouvernement,
avant de devenir directeur du ministère aux affaires sociales. Sa mère, Elsa LION, est
née à Prague.
Deuxième d'une famille de trois, Victor savait dès l'âge de quatre qu'il serait
médecin. A la fin de ses études secondaires, il rédigea un essai psychanalytique sur
SCHOPENHAUER, tout en commençant un intense échange épistolaire avec Sigmund FREUD. En
1925, in rencontra FREUD en personne, et publia des articles dans le Journal International
de Psychologie Individuelle d'Alfred ADLER. En 1926 il utilisa pour la première fois le
terme de Logothérapie dans un cours public. A partir de 1928, il travailla dans la
Clinique psychiatrique de Vienne, tout en s'occupant bénévolement d'adolescents en
difficulté. En 1930, il obtint son doctorat en médecine, tout en continuant à se
spécialiser en neurologie. |
En 1933, il devint responsable du service des femmes
suicidaires à l'hôpital psychiatrique, comptant plusieurs milliers de patientes. En
1937, il ouvrit son propre cabinet en neurologie et en psychiatrie. Un an plus tard, les
troupes hitlériennes envahirent l'Autriche : il obtint un visa pour aller aux Etats-Unis,
mais pas ses parents âgés. Il décida donc de rester avec eux, et de s'en occuper.
En 1940, il fut nommé responsable du département neurologique de l'Hôpital Rothschild,
la seule institution médicale pour juifs à Vienne sous le régime nazi. Il établit de
nombreuses ordonnances médicales falsifiées pour ses patients, afin de les soustraire
aux nouvelles exigences d'euthanasie promulguées à l'encontre des malades mentaux. C'est
durant cette période troublée qu'il commença la rédaction de son manuscrit, Ärzliche
Seelsorge (cure d'âme médicale), qui deviendra la pierre angulaire de son ouvre).
Il se maria en 1942, mais en septembre de cette même année, il fut arrêté, avec sa
femme, son père, sa mère, son frère, puis transféré au camp de concentration de
Theresienstadt, en Bohème. Son père mourut de faim, alors que sa mère et son frère
furent tués à Auschwitz en 1944. Son épouse mourut à Bergen-Belsen en 1945. Seule sa
sur Stella survécut, ayant émigrer en Australie un peu plus tôt.
Durant son transfert à Auschwitz son manuscrit fit découvert et détruit. Il était
animé de l'ardent désir de terminer son ouvrage, et surtout de retrouver les siens.
Après son transfert dans deux autres camps, il fut touché par la fièvre typhoïde, et
il survécut grâce à son désir de rédiger son ouvrage, utilisant des rouleaux de
papier volés : il ne voulait pas achever sa course avant d'avoir mener à bien l'objectif
qu'il s'était fixé, et il ne voulait surtout pas accorder à ses adversaires le plaisir
de le réduire à néant.
En avril 1945, son camp fut libéré, et il retourna à Vienne, pour y découvrir le
décès de ses êtres les plus chers. Il en fut brisé, se sentit désespérément seul et
comme abandonné. Pourtant l'exigence de mémoire et de témoignage l'emporta sur l'envie
de disparaître et de baisser les bras.
Il accepta la charge de directeur de la Polyclinique Neurologique de Vienne, poste qu'il
occupa durant 25 ans. Il publia finalement son ouvrage, et obtint une chair d'
enseignement à la Faculté de Médecine de l'Université de Vienne. En moins de neuf
jours, il dicta un autre livre, qui devint le fameux Man's Search for Meaning, dont il
vendit neuf millions dans l'édition anglaise ! L'ouvrage est traduit en français sous le
titre Découvrir un sens à la vie. Il rencontra une jeune infirmière, Eléonore
SCHWINDT, " Elly ", qui avait la moitié de son âge, et qu'il épousa en 1947.
En décembre de la même année, elle lui donna une fille, Gabrielle.
En 1948, il reçut son Doctorat en Philosophie, son sujet de thèse étant Le dieu
inconscient. Il devint professeur associé à en neurologie et en psychiatrie à
l'Université de Vienne, alors qu'en 1950, il fonda la Société Médicale Autrichienne
pour la Psychothérapie, dont il devint le président. Il fut nommé professeur ordinaire,
et devint célèbre y compris dans les cercles en dehors de Vienne. Il obtint le prix
Oscar PFISTER, et fut nominé pour le Prix Nobel de la Paix. Il enseigna à l'Université
de Vienne jusqu'en 1990 (85 ans). Il aimait la varappe et obtint son brevet de pilote à
67 ans.
En 1992, des amis fondèrent l'Institut V. Frankl, il reprit deux ouvrages ultimes : en
1995, son Autobiographie, et en 1997 Man's Ultimate Search for Meaning. Il nous laisse 32
livres, traduits en 27 langues. Il mourut le 2 septembre 1997, d'un arrêt cardiaque. Il
produisit une uvre riche et variée, d'une actualité brûlante et d'un impact
immense.
3. Sa pensée, son cadre théorique et pratique, son apport
au champ psychothérapeutique
Son cadre conceptuel et sa pratique thérapeutique sont donc intimement liés à son vécu
dans les camps de la mort nazis. Etant confronté à sa propre expérience de la mort et
à celle des autres, il put faire sienne la devise de F. NIETZCHE : "
celui
qui sait le pourquoi de sa souffrance, peut en endurer n'importe quel comment ". Il
constata que celui qui avait la foi, celui qui conservait un projet, celui qui gardait
l'espoir de revoir les siens, ou qui avait l'espérance que les choses allaient
s'améliorer, avait plus de chances de s'en sortir que celui qui avait baissé les bras et
avait abdiqué.
Il apparut comme une troisième alternative à l'approche viennoise : si FREUD était le
champion du principe de plaisir comme source de toute motivation humaine ; si ADLER était
le champion de la volonté de puissance ; lui-même se voyait comme le chantre de la
volonté de trouver un sens à.
Il insista également sur l'inconscient spirituel, à l'écoute duquel il invite à se
placer pour parvenir à surmonter notre vide existentiel, dont la marque principale est
d'une part l'ennui, et d'autre part la peur : peur de ne pas avoir assez, peur de ne pas
être à la hauteur des attentes sociales, peur de ne pas avoir fourni la somme d'efforts
requis ...
Il parle d'hyperintention : nous devons accomplir trop d'efforts, déployer trop
d'énergie pour réussir, ce qui nous stresse et consomme notre force : par peur de ne pas
dormir, certains accomplissent des efforts, qui les fatiguent au point qu'ils
entretiennent leur insomnie ; d'autres sont habités d'un autre faux schéma mental : je
dois être un amant exceptionnel, faisant vivre de multiples orgasmes à ma partenaire.
Pour être à la hauteur, je m'imagine (à tord), que je dois faire beaucoup d'efforts,
accomplir de véritables prouesses sportives et sexuelles, qui en réalité sont au dessus
de mes vraies capacités, ce qui provoque une frustration et une
certaine
impuissance (cercle vicieux qu'il faut rompre ) !
Il nomme triade névrotique de masse la dépression, l'addiction (dépendance) et
l'agression.
La quête la plus importante reste la recherche de sens, possible grâce au lien avec la
transcendance (celui qui nous dépasse). Il invite à dépasser l'impression de vacuité :
" von der Sinnleere zur Sinnlehre "
Au niveau plus thérapeutique, il utilise la technique de l'intention paradoxale , qui
permet dépasser le cercle vicieux de l'anxiété anticipatoire et de l'hyperintention :
il s'agit de souhaiter ce que l'on craint le plus, de désirer ardemment ce qui fait le
plus peur. Ainsi celui qui souffre d'insomnie, au lieu de chercher à s'endormir ou à
trouver le sommeil en se retournant dans son lit, devrait se lancer un défi : rester
éveillé le plus longtemps possible, lutter contre le sommeil. Petit à petit, il tombera
de sommeil et s'endormira !
Une autre technique est la déréflexion ou la décentration de soi: au lieu de n'être
centré que sur soi, il faut prêter attention aux autres. Si j'ai des problèmes dans le
domaine sexuel, au lieu à chercher ma propre satisfaction, je peux chercher à satisfaire
l'autre : en me décentrant de mes problèmes, en cherchant à satisfaire l'autre, en
répondant à ses besoins et à ses attentes, je contribue à ma propre satisfaction et je
relativise mes propres difficultés, que je peux du coup mieux surmonter.
Son apport majeur nous semble être son rapport à la souffrance : il y a plusieurs
réponses possibles face à la souffrance, surtout dans le fait qu'il y a avant tout des
êtres souffrants, cherchant à trouver un sens à leurs blessures, tâchant de percer le
mystère de leur expérience si douloureuse.
Certains sombrent dans la résignation ou la dolorisme ; d'autres se consument dans la
colère; certains, enfin, entretiennent une sombre conception de la vie, qu'ils déclarent
absurde. Pour FRANKL, il s'agit d'assumer sa part de liberté et de responsabilité
jusqu'au bout : pour exister, il faut des raisons d'exister, et si j'arrive au bout de ma
course, je peux me rendre compte qu'elle a été utile, féconde.
Dans ma propre pratique thérapeutique auprès des personnes endeuillées, j'utilise
l'approche de FRANKL. Je commence par bien les écouter dans leur sensibilité meurtrie ;
puis une fois qu'elles ont réussi à assumer la phase émotive de leur deuil, je leur
pose la question du sens que leur vie va prendre après la perte vécue. Comment la
souffrance, si insoutenable soit-elle, peut-elle vous conduire à une meilleure
connaissance de vous-même? Quelles nouvelles ressources pouvez-vous y trouver ? A quelle
nouvelle maturité êtes-vous appelée ? A quoi êtes-vous initié(e) ? En quoi cela vus
édifie-t-il ?
Le plus souvent, quand une personne arrive à trouver un sens à sa souffrance, il en
résulte pour elle et son entourage, une meilleure connaissance de soi, de son identité
profonde, et de sa mission personnelle. Une perte bien assumé pousse à se dépouiller
des masques, de ses identités superficielles, pour introduire à une plus grande
conscience de l'unicité de l'être propre et de son agir. De coup, cela pousse à plus
d'amour pour autrui, à plus d'humilité, et à plus de tolérance dans la compassion,
sans pour autant se noyer dans les difficultés d'autrui et sans prétendre les porter à
sa place!
4. Petite bibliographie sélective
FRANKL Victor, Découvrir un sens à la vie, Editions de l'Homme, Montréal, 1988
FRANKL Victor, le dieu inconscient, Le Centurion, Paris, 1975
LUKAS Elisabeth, Psychotherapie in Würde. Sinnorientierte Lebenshilfe nach Viktor E.
Frankl, Beltz Taschenbuch, Weinheim, 2003
MONBOURQUETTE Jean, Aimer, perdre, grandir. Assumer les difficultés et les deuils de la
vie, Bayard Editions, Paris, 1995
VIORST Judith, Les renoncements nécessaires, R.Laffont, Paris, 1986
Jean-Michel MARTIN
|