I. Un prophète sous pression et en dépression
Elie venait dassister au spectacle surnaturel de la toute-puissance de Dieu, qui
avait montré sa terrible force en déversant son feu sur lholocauste. Les enfants
dIsraël, à défaut daimer ou de respecter ce Dieu puissant et guerrier,
avait une grande peur face aux manifestations de sa sainte colère. Il valait mieux ne pas
tomber entre ses mains vengeresses.
Cétait un contexte de guerre, de lutte et de sang qui coulait à flots, où la vie
humaine ne tenait quà un fil. Elie y avait fait preuve de courage, de témérité
et dendurance. Un vrai héros, une figure emblématique, comme certains les aiment.
Ils avaient exterminé par le fil de lépée les 450 faux prophètes de Baal.
Et voilà quil apprend que sa propre vie est menacée par une femme, Jézabel, qui
menace de lui faire subir le même sort que celui quil avait réservé aux
prophètes. On a limpression quil est plongé comme dans les ténèbres
dun tunnel, suite au traumatisme des événements sanglants quil avait vécus,
et desquels on ne sort jamais indemne , même quand on est du côté des vainqueurs.
Elie se rend dans le désert (pour y méditer, pour sy retrouver, ou pour y
disparaître ?). Les ténèbres de son tunnel sy épaississent : choc émotionnel,
pensées négatives et morbides qui sentrecroisent, discours mortifère : «
Cen est trop ! Maintenant, Eternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que
mes pères ».
Du point de vue cognitif (perception rationnelle de la réalité), il souffre dun
triple déficit:
1) Il a une très mauvaise estime de lui et
de ceux qui lont précédés dans sa filiation (nous sommes mauvais, nuls, ne valons
rien) ;
2) Lenvironnement est perçu comme
hostile : « on veut ma mort », « je naime pas les roses, car elles ont des
épines ». Il ny a que des défaites, que des pertes, que des inconvénients, pas
davantages ; que des problèmes, pas de solutions !
3) Lavenir est compromis : « il
ny a pas de sortie du tunnel, plus rien à espérer ». Autant le passé est lourd
à porter, autant le présent est impossible à vivre, autant le futur est hypothéqué
(pour parler des trois dimensions du temps).
Il nest pas à létape bénigne du simple découragement passager, ni à celle
plus sérieuse de labattement, mais au stade plus grave du désespoir, se sentant en
rupture absolue, en isolement total, même abandonné par Dieu.
Or celui-ci a prévu une panoplie de remèdes, dont certains sont assez surprenants .
II. Les remèdes pour sortir du tunnel
A. Lenvoi dune personne qui le
soutient par sa présence amicale et aidante, grâce à ce que la psychologie appelle une
« tuteur de résilience », celui qui aide à rebondir (voir Boris CYRULNIK). Ici il
sagit dun ange, qui ne vient pas les mains vides (v.5-6 : « Un ange le
toucha, et lui dit : Lève-toi et mange
Il regarda, et il y avait à son chevet un
gâteau sur des pierres chaudes et une cruche deau. Il mangea et but , puis se
recoucha » idem au verset 7). La question personnelle à se poser : « Du qui suis-je
lange, et qui ma permis de rebondir lors de ma traversée du désert »?
B. Lexpérience du toucher (v.5 : «
un ange le toucha »). Un toucher sanctifié, car il permet la distance
relationnelle la plus intime, sinscrivant dans la connaissance empirique, par les
sens (voir, entendre, goûter, sentir
) Voir 1 Jean 1, 1-4 : « Ce qui était dès le
commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos propres yeux, ce que
nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie, et la vie
a été manifestée, nous lavons vue, nous en rendons témoignage
ce que nous
avons vu et entendu, nous vous lannonçons, à vous aussi, afin que vous soyez en
communion avec nous
». Paul a lui aussi expérimenté ce type de connaissance, qui
donne au témoignage du chrétien sa vraie saveur. Il dit dans 2 Co.2,14-16 : « Grâces
soient rendues à Dieu, qui nous fait toujours triompher en Christ, et qui par nous,
répand en tout lieu lodeur de sa connaissance ! Nous sommes en effet, pour Dieu, la
parfum de Christ ; parmi ceux qui sont sauvés, et parmi ceux qui périssent : aux uns,
une odeur de mort, qui mène à la mort ; aux autres, une odeur de vie, qui mène à la
vie
»
C. Lacceptation de se sonder et de se
remettre en question: «
La main de lEternel fut sur Elie, qui mit une
ceinture à ses reins et courut devant Achab
» (1 Rois 18,46) . La ceinture sur les
reins fut le premier vêtement fourni par Dieu à nos parents après leur chute (Genèse
3,7). Elle rassure, conforte, donne force et courage, et marque un engagement, un vu
(obéissance, consécration). Elle permet « avoir les reins plus solides ». Elle est
symbole dattachement constant, de loyauté : «La justice sera la ceinture de ses
flancs, et la fidélité la ceinture de ses reins « (Esaïe 11,5). Elle représente aussi
lattitude de celui qui est prêt à bouger, à partir quand lordre lui en est
donné, quand il faut franchir le passage. Cétait lexpérience du peuple juif
en célébrant la Pâque, en Exode 12,11 : « Quand vous mangerez lagneau, vous
aurez les reins ceints, vos souliers aux pieds, et votre bâton à la main ; et vous le
mangerez à la hâte. Cest la Pâque de lEternel ». Elle marque donc cette
disposition intérieure, cette disponibilité, le fait dêtre prêt intérieurement
et extérieurement (dans lorganisation de son espace vital), pour se lancer dans
laction prévue par Dieu : « Et toi, ceins tes reins, lève-toi et dis-leur tout ce
que je tordonnerai. Ne tremble pas en leur présence
» (Jérémie 1,17). «
Que vos reins soient ceints, et vos lampes allumées » (Luc 12,35).
D. La satisfaction des besoins (voir A.
MASLOW et sa pyramide):
1) les besoins plus fondamentaux comme
respirer, manger, boire, se reposer.., qui permettent le maintien de la vie ou de la
survie, en attendant mieux ;
2) les besoins plus élaborés comme le
besoin de sécurité, qui protège du danger physique, des menaces psychologiques, qui
stabilise la situation devenue trop destructrice, parfois en permettant la prise de
distance et en trouvant des lieux de refuge: v.4 : le désert ; v.8 : le mont Horeb ; v.9
: une grotte ; v.13 : le manteau dont il sentoure le visage
3) le sentiment dappartenance à un
groupe qui permet le partage de lamour et de laffection, au sein de relations
et dune communication chaleureuses (v.14-18) . Il est fondamental de découvrir un
groupe dappartenance pour être avec ceux quon aime, qui sont perçus comme
des compagnons et pas comme des juges.
4) le besoin destime de soi et de la
part des autres : je vois que je suis utile, valorisé, accepté, capable de me fixer des
buts et de les atteindre, tout en sachant que jai encore des progrès à accomplir,
(ce que le groupe auquel jappartiens doit faire lui aussi;
5) la possibilité de croître, de grandir :
au niveau de lintelligence rationnelle (les idées), de lintelligence
pragmatique (les choses concrètes, les objets) ; de lintelligence esthétique (le
goût du beau) ; et de lintelligence relationnelle (lien avec les gens rencontrés ,
sens des événements vécus, valeur des expériences faites
)
E. La réponse aux attentes les plus profondes:
1) Doù est-ce que je viens (origine)
et qui suis-je (identité)
2) A quoi est-ce que je sers : « Que
fais-tu ici ? » (v.9)
3) Suis-je digne dêtre aimé et
capable daimer (quête narcissique)
4) Les étapes de structuration de ma
personnalité ont-elles été posée ou non ?
* être aimé, être soigné (enfance),
* saimer et se soigner (adolescence)
* aimer et soigner (adulte). Dans mon parcours personnel, dans la structuration
de mon être, ces trois étapes ont-elles été respectées ou pas ?
F. Lintégration ou la réintégration dans
une filiation divine et humaine (v.4; v.10 ; v.11 ; v.15-18 : « Va, reprends ton
chemin par le désert jusquà Damas ; quand tu seras arrivé, tu donneras
lonction à Hazaël, comme roi de Syrie
» Ici Elie sert dintermédiaire
pour lonction dun roi. Il joue donc un rôle de transmetteur, de relais, au
sein de la communauté politique de son pays. , de même quau sein de la communauté
spirituelle, religieuse, puisquil va servir de transmetteur pour lonction du
prophète qui lui succédera : «
et tu donneras lonction à Elisée, fils de
Chaptath, comme prophète à ta place
» (v.16).
G. La compréhension dun Dieu puissant et
redoutable (v.11-12), mais aussi tendre et plein de sollicitude : «
après
le feu, un son doux et subtil
» (v.12). LEternel, fort et puissant,
nétait pas dans les éléments déchaînés : ni dans le grand vent qui déchirait
les montagnes ; ni dans le tremblement de terre ; ni dans le feu, mais dans une présence
rassurante et remplie de tendresse, comme une maman qui ma porté(e) et qui
tressaille du fond de son entrailles. Le livre du Deutéronome en parle de manière
poétique quant il peint la manière dont Dieu veille sur son peuple : «
Pareil à
laigle qui éveille sa nichée, voltige sur ses petits, déploie ses ailes, les
prend, les porte sur ses plumes, il lentourait, il en prenait soin » (De..32, 9-12)
: Le prophète Esaïe est aussi le chantre de cette douce sollicitude dun Dieu qui
établit un lien relationnel privilégié avec chacun de ses enfants : «
Sion
disait : LEternel ma abandonnée, le Seigneur ma oubliée. Une femme
oublie-t-elle son nourrisson ? Na-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ?
Quand elle loublierait, moi, je ne toublierai pas. Je tai gravé sur mes
mains
» (Es. 49,13-15) . Ce même Dieu, que certains connaissent comme un père,
quil faut prier, est encore plus proche, comme un papa qui madopte en tant que
sa fillette ou en tant que fiston, dans une adoption plénière et définitive.
Lapôtre Paul lavait bien expérimenté. Il le dit dans Romains 8, 15-17 et
dans son Epître aux Galates, 4,14-16 : «
Et vous, vous navez pas reçu un
esprit de servitude, pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit
dadoption, par lequel nous crions Abba !Père ! LEsprit lui-même rend
témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu
»
H. Louverture au monde, à la vie,
vécus non pas comme des menaces à affronter, mais comme une aventure à partager, comme
des défis à relever ensemble (v.19-21).
I. Lopportunité de gérer des conflits,
non dans un affrontement meurtrier, mais dans une saine confrontation, dans le débat
didées, permettant non pas lexercice dun pouvoir mais le déploiement
de compétences complémentaires : «
Elisée abandonna ses bufs, courut
après Elie, et dit : Je vais embrasser mes parents, et je te suivrai
» (v.21)
J. Enfin lacceptation, le
lâcher-prise, le deuil qui est enfin fait (et plus seulement porté) face aux pertes,
quelles soient prévisibles ou imprévisibles, avec les 7 étapes de ce processus :
1) Le choc : état dhébétude, qui
paralyse la perception de la cruelle réalité : « Fais-moi mourir » ; « Je suis tout
seul »
On a limpression de vivre un mauvais rêve dont on voudrait se
réveiller, ou bien les souvenirs du passé qui submergent la réalité présente sont
tellement douloureux quon préférerait disparaître.
2) Le déni : on voudrait oublier
lévénement douloureux, le refouler, se réfugier dans le passé, le bon vieux
temps.
3) Lexpression des émotions : «
Cen est trop » ; « Ils cherchent à môter la vie » ; « Prends ma vie
»
4) La prise en charge des tâches liées au
deuil : vivre le départ, la séparation, accepter (sans se résigner), que certains
points de non retour sont dépassés et que désormais le vie ne sera plus comme avant. Se
mettre en mouvement, sinscrire dans la dynamique que la vie continue, malgré tout :
Au verset 4 : « Il alla dans le désert.. » ; au verset 13 : «
il sortit et se
tint à lentrée de la grotte » ; au verset 19 : «
Elie partit de là, et
alla trouver Elisée
»
5) Découvrir le sens de la perte, la valeur
du changement : rebondir, trouver la signification du vécu, même sil est
traumatisant, comprendre quil y a des raisons dexister ;
6) Echanger les pardons (accorder et
recevoir), en sachant que celui qui ne peut pardonner à ses tortionnaires nest pas
encore sorti de sa prison.
7) Prendre possession de sa propre histoire,
de son héritage : en racontant les « histoires » qui la composent ; en trouvant un fil
conducteur ; en comprenant que tout rite de passage implique trois temps :
a) La
rupture avec le passé, la séparation avec létape antérieure qui était trop
pénible ou destructrice ;
b) La période de « marge », dentre
deux, qui permet un nouvel apprentissage, et labandon des faux schémas mentaux
antérieurs: non Elie nest pas tout seul ! Non, le monde ne lui était pas
quhostile ! Oui, il y avait un avenir, et la relève fut assurée, au bon moment !
c) La nouvelle entrée, lintégration
: «
Puis il (Elisée) se leva, suivit Elie et fut à son service » (verset 21) |
Jean-Michel MARTIN
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