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     TEMANIHI, le robinson du Pacifique

 

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TEMANIHI, le robinson du Pacifique, ou l'homme qui dériva 154 jours
(du 2 février au 6 juillet 1964)

Dans l'ouvrage de P.O.'REILLY et E. REITMAN, Bibliographie de Tahiti et de la Polynésie française, Publications de la Société des Océanistes, n°14, Musée de l'Homme, Paris 1967, p.417 (n°4603), nous apprenons la "dérive involontaire d'un bateau de pêche tahitien" (cite aussi le journal La France des Iles, Paris, n°10, sept.-octobre 1964, p.49). Nous dit que le polynésien Temanihi, 30 ans, de Maupiti, allant de Bora-Bora à Maupiti, sur une embarcation de 6 mètres, tombe en panne de moteur. Il aborde 154 jours plus tard à Manu'a, Iles Samoa, ayant survécu avec le poisson qu'il pêchait. Voir à ce sujet la presse locale, lors de son retour en juillet (en réalité, en septembre 1964). Voir également E. JOHNSON, Pacific Islands Monthly, Aug. 1964, p.7-8.
Dans son article, "155 jours de dérive de Bora-Bora à Fiti-Uva", in Bulletin de la Société d'Etudes Océaniennes, tome 12, n°1, mars 1962, Paris, p.442-444, Janine LAGUESSE nous apprend que le 2 février 1964, Temanihi TEPA (le plus jeune, âgé d'une trentaine d'années) et son ami Raioho NATUA quittaient Bora-Bora (où ils cultivaient des pastèques) à bord d'un petit bateau de 22 pieds muni d'un moteur hors-bord de 7 chevaux. Le temps était beau, la mer calme et ils auraient dû arriver à destination (Maupiti, c'est nous qui précisons) en fin d'après-midi, la distance était d'environ 45 milles. Malheureusement à mi-route, le moteur pour une raison indéterminée, tomba en panne et ils ne purent le remettre en route. L'embarcation commença à dériver, la nuit vint, et il plût. Au matin suivant le temps était bouché, les nuages barraient l'horizon, il fut impossible aux deux hommes de déterminer s'ils avaient ou non dépasser Maupiti. Aucune terre en vue.

Ils s'organisent de leur mieux: deux pots de peinture vides leur permettent de recueillir l'eau de pluie; avec une paire de ciseaux ils fabriquent un harpon de fortune: les "mahimahi", gros poissons de la région, sont nombreux dans les parages et viennent le long du bateau pour se gratter afin de se débarrasser des parasites qui se fixent sur eux. Ainsi les deux compagnons d'infortune peuvent subsister tant bien que mal. Le harpon improvisé n'ayant pas d'ardillon, il était nécessaire pour pouvoir ramener le poisson à bord que l'un des deux hommes se mette à l'eau pour soulever la prise afin de permettre au second de la tirer dans le bateau. Pêche fatiguante, et assez décevante, car en moyenne 2 sur 3 des mahimahi réussissaient à s'échapper.

Entre les pluies fréquentes et les embruns, ils étaient presque toujours mouillés et ne pouvaient rien conserver de sec, le cahier qui se trouvait par hasard à bord et qui servait à compter les jours, finit par se détremper complètement et devint inutilisable. Un mois et 1/2 après leur départ, ils aperçurent dans le lointain une île, probablement Bellinghausen.

NATUA, la quarantaine, et qui au départ pesait 70 kilos, allait s'affaiblissant: pendant 8 jours il reste prostré, sans mouvement, au fond du bateau, et au matin du 139ème jour (d'après MAZELLIER), il meurt, étant alors d'une maigreur extrême. Dans l'espoir d'atteindre une terre dans la journée, son compagnon conserve le corps et le veille, et ce n'est qu'à le nuit tombée qu'il décide de l'immerger.

Comment Temanihi allait-il supporter la solitude? Relativement bien, car il ne perd pas espoir et tous les jours il prie Dieu de le sauver. De longs jours de solitude passent, et le 155ème jour après le départ de Bora-Bora, il aperçoit le récif de Fiti-Uva, dans l'Archipel des Samoa: il se jette à la nage et se fait recueillir par des pêcheurs qui l'avaient aperçu, mais qui ne comprennent pas sa langue. Il n'a aucune idée de l'endroit où il se trouve. En mauvais anglais, il parvient à un minimum de conversation, en tout cas assez pour que ses sauveteurs comprennent qu'il est tahitien et qu'il est aux Samoa. Temanihi qui pesait 105 kilos au départ n'en fait plus que 40 à l'arrivée. Son corps est resté fort, selon son expression, mais ses jambes ne le portent plus. Mis en observation à l'hôpital de Pago-Pago, il y reste 12 jours, se remettant rapidement et reprenant du poids. Un DC4 militaire le ramène à Tahiti le 23 septembre.

155 jours de survie en mer, "nous pensons qu'il s'agit là d'un record jamais atteint dans les limites de la résistance humaine". Ce record jusqu'à présent était détenu par un Chinois, membre de l'équipage du navire hollandais SS Zaandam de la Holland America Line qui, durant la dernière guerre avait au large de la côte de Pernambuco, dérivé seul pendant 120 jours sur un radeau. Notre héros est rentré à Bora-Bora où il a repris son métier de cultivateur.

P. MAZELLIER, dans son Tahiti, de l'atome à l'autonomie, Ed. Hibiscus (Papeete) 1979, p.86-89, parle du "record mondial. 154 jours à la dérive". Il commence son récit en disant que sa famille le croyait mort. Elle avait d'abord espéré, puis s'était peu à peu résignée. On l'avait rayé de la liste des vivants, pour l'ajouter à la longue litanie des victimes de la mer. De Temanihi TEPA, on parlait au passé.

Et voici que le 6 juillet au soir, "Radio-tahiti" lance la stupéfiante nouvelle dans son laconisme: TEMANIHI, disparu le 2 février 1964 au large de Maupiti à bord d'un speed-boat de 22 pieds, a été recueilli aux Samoa américaines, à 1.100 milles de là!

Un paisible cultivateur de pastèques vient d'être involontairement le champion du monde de la survie en mer. Il a passé 154 jours à la dérive, d'abord avec un compagnon, et seul ensuite, seul sur l'immensité vide du Pacifique (qui par moment n'a de pacifique que son nom). Son extraordinaire odyssée avait commencé lorsqu'avec un ami, Raioho NATUA, il embarque pour se rendre de Maupiti à Bora-Bora. Ils rapportent des graines de pastèques et le linge de la vahine de l'un d'eux. La bateau est une coque de construction locale, en bois, avec un toit de contre-plaqué et une plage arrière découverte.

A 4 heures de l'après-midi, à mi-distance des deux îles, le moteur tombe en panne, submergé par une vague malencontreuse. Impossible de le faire repartir. Pas d'outil à bord, il est donc hors de question de le démonter. Pas de rame non plus... Cette histoire exemplaire, avant d'être celle de la volonté et du courage, est d'abord celle de l'imprévoyance, car il n'y a pas de moteur de secours ni d'outils (une photo de l'article montre que Temanihi s'est remis de son odyssée, et précise qu'il a retrouvé sa corpulence lorsqu'il est interviewé à son retour).

Le soir tombe. La silhouette de Bora-Bora s'estompe et disparaît. Mais TEMANIHI et NATUA sont des hommes dans la force de l'âge: 30 ans pour le premier, 40 pour le second. Ce sont des cultivateurs, gens calmes et difficiles à inquiéter. Pas de panique. Ils pensent que dès le lendemain un bateau quelconque les secourra. Ils dorment: mais dès le lendemain, l'horizon reste vide. Au troisième jour, ils aperçoivent un gros bâtiment, le MONTEREY ou le MARIPOSA, qui se dirige sur Bora-Bora. Ils gesticulent, agitent leurs chemises, le paquebot passe sans les avoir repérés.

Nouvelle source d'un découragement qui risque de devenir fatal si la réaction n'est pas adaptée.

Des ciseaux pour survivre

Ils ont mangé les maigres provisions embarquées: des pastèques, un peu de pain, quelques vi-tahiti (pomme de Cythère). Ils n'ont rien pour pêcher: pas un hameçon, pas le moindre fil de pêche, aucun instrument utile. Juste une paire de ciseaux rouillés qui traîne au fond du bateau, dans l'eau sale. En Polynésie, on a l'habitude d'improviser; l'art du bricolage est une vertu aussi polynésienne que métropolitaine, et l'instinct de conservation rend ingénieux. La paire de ciseaux deviendra harpon et crayon. Séparées, les deux tranches sont fixées par un fil de fer à une latte arrachée au caillebotis (voir dessin). Cet instrument de fortune manque évidemment d'efficacité: sans ardillon, il laisse retomber neuf prises sur dix, bonites, mahimahi, et petits requins qui viennent rôder à l'ombre de la coque, où se réfugie le menu frotin. Le poisson est consommé cru; séchés au soleil, les filets peuvent durer trois jours.
Par chance, le ciel est couvert, il pleut souvent: à l'aide d'une toile cirée, l'eau est recueillie dans une boîte de conserve; et quand il pleut beaucoup, on se lave. Quand les éléments se déchaînent, on écope. Sans que les deux hommes le sachent, ils dérivent vers l'ouest. Un matin, une île est en vue, sans doute Bellinghausen. Déjà, ils s'emploient à s'en rapprocher, et se voient étendus sur la plage, buvant l'eau fraîche des cocos. Du toit qu'ils ont arraché pour donner moins de prise au vent ils font au contraire une voile, mais le vent les trahit et les repousse au large. Ils comptent les jours, et pour ne pas sombrer dans l'hébétude, pour ne pas se laisser glisser dans la mort, ils s'occupent à de petits travaux (souvent inutiles): ils vérifient le moteur silencieux, taillent des bouts de bois, nettoient le bateau...

Nous avons beaucoup prié

"Et surtout, nous avons beaucoup prié", racontera TEMANIHI. Mais si le moral de NATUA reste bon, il s'affaiblit de plus en plus. Plusieurs jours avant sa mort, il ne peut plus bouger, et son compagnon d'infortune doit le porter pour le déplacer. Au matin du 139ème jour, il le trouve mort. Profondément croyant, TEPA repousse avec horreur l'idée de se nourrir de la dépouille de son compagnon: "Je l'ai veillé toute la journée, et le soir je l'ai jeté à la mer".
Désormais seul, il ne désespère toujours pas. Un banc de bonites, qui lui fait longtemps escorte, lui permet de reprendre quelques forces. Sans cesse, il scrute l'océan; parfois les nuages amoncelés sur l'horizon lui donnent l'impression cruelle d'une terre à proximité. Et pourtant, au 154ème jour, c'est bien une île qui se profile, qui grandit. Elle est assez proche pour le décider à tenter sa chance, peut-être la dernière. Il se met à l'eau et trouve l'énergie suffisante pour nager en remorquant son bateau, sur lequel il remontera si les courants lui sont contraires.

Mais non! L'île se rapproche, elle est à quelques brasses. TEPA y distingue des cocotiers, des maisons, des hommes. Des hommes qui l'ont vu, qui se précipitent pour l'aider, car les vagues l'empêchent d'accoster seul. Des bras secourables se tendent... C'est fini. TEMANIHI a gagné contre la mer, contre l'angoisse, contre la solitude, l'impossible pari dont l'enjeu était sa propre vie. Poussé par sa foi inébranlable en Dieu, il a résisté aux éléments.

Fiti Uta, l'île du salut

L'île du salut se nomme Fiti Uta, des Samoas américaines. Les habitants sont Polynésiens, mais ils ne comprennent pas un traître mot de tahitien, et le rescapé ne comprend pas mieux la langue samoane. Tout en lui prodiguant leur hospitalité, ils se montrent soupçonneux car ils ont trouvé à bord un paquet de vêtements féminins qui fait penser à un sombre drame passionnel. Il faudra qu'à Pago-Pago, une tahitienne mariée à un magistrat américains, Mme Louise SENTER-WOHLER , serve d'interprète, pour que les soupçons se dissipent.
Pendant deux mois, notre héros se remet de son état de faiblesse: il est choyé par la population, et spécialement par le pasteur missionnaire: il lui fait cadeau de son bateau, avant qu'un avion militaire français vienne le chercher pour le rendre à l'affection des siens. Il reprend ses paisibles occupations. Jusqu'à ce jour, il détient un record mondial. Depuis l'Antiquité il n'y a pas de précédent connu dans les aventures de mer, d'un homme sur un esquif à la dérive, ayant survécu 5 mois.

Dans sa lettre du 9 février 1995 (de Genève C.O.E.), John DOOM, nous signale qu'il l'a personnellement accueilli à son arrivée à Faaa et qu'il l'a conduit à Radio-Tahiti pour l'interviewer en tahitien. Il lui a posé la question:

"Comment est-ce possible de tenir 154 jours, perdre son compagnon de route, perdre la notion du temps, être à bout de force?"

La réponse est une véritable confession de foi:

"Nous avons tenu avec mon compagnon et par la suite, seul; car nous avions la foi en Dieu, nous savions que Dieu ne nous abandonnerait pas; j'ai toujours senti sa présence, même dans les moments les plus difficiles. Il faut avoir la foi en Dieu pour tenir, sans la foi ce n'est pas possible".

John ajoute dans sa lettre que ce qui est le plus merveilleux, c'est que pour les autorités, il était certainement mort, puisque les recherches effectuées n'ont rien donné. Mais "sa femme et ses enfants n'ont jamais perdu espoir".

Témoignage de Temanihi (recueilli par nos soins)

Il n'a jamais manqué d'eau ou de poissons. Il ajoute:

"J'ai vécu une expérience inoubliable avec mon Seigneur. Il a été la seule personne à qui je pouvais parler au milieu de l'immensité de l'océan. Et il est descendu vers moi, m'a réchauffé le cœur et m'a redonné courage plus d'une fois.

Le vendredi soir, au début du sabbat... je priais, et passais une grande partie de la nuit en prière. Et c'est à cette occasion que par trois fois j'ai vu le ciel s'ouvrir et descendre tout près de moi. Jamais je n'ai ressenti un bonheur si intense".

 

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